L’histoire du karaté

L’origine commune des arts martiaux : Bodhidarma (ou Daruma en japonais)

En l’année 520 de notre ère parvient au Monastère de la Petite Forêt, Shaolin Shi, un étrange individu à la peau claire, à la barbe hirsute et au regard de braise, habillé comme un barbare du Sud (Nan) et qui demande asile et protection.
Il s’agit, selon ses dires, du fils aîné du Roi Sughanda, descendant du Bouddha, ce qui faisait de lui le vingt huitième patriarche indien. (Ce voyage est consigné dans une chronique chinoise datée de 543).
Venant des Indes il avait demandé un entretien à l’empereur Wu de la dynastie des Liang (Liang Wudi ou Leang Wu Ti), protecteur du bouddhisme en Chine, et avait expliqué à ce dernier que malgré ses efforts et toutes les bonnes actions accomplies il n’avait pas encore acquis l’ombre d’un mérite.

   Selon Bodhidharma le seul mérite concevable résidait dans la connaissance immédiate et mystique du néant de toute chose.
En un mot, les temples, les statues dorées, les images pieuses, les rituels, les dons… donc tout ce que le bouddhisme représentait en Chine… ne valaient rien au regard de la recherche de l’illumination.
Cette illumination ne pouvait s’obtenir que par le biais de la méditation, Dhyâna en sanscrit. Bodhidharma, littéralement l’Illuminé, ne proposait pas moins à l’empereur qu’une nouvelle conception du bouddhisme mahâyâna (dit du « grand véhicule »)et la remise en cause de tout un système moral, philosophique et religieux auquel Wu avait consacré toute sa vie.

   L’empereur, outré par ces propos, congédia Bodhidharma qui ne dut la vie sauve qu’au simple fait d’être le disciple de Prajnâdhara (le vingt septième patriarche). Il prit refuge dans le plus fameux monastère de l’époque, le monastère de la petite forêt.
Ce monastère, dit Shao Lin Shi en chinois ; Sho Rin Ji en Japonai, situé à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Deng Feng, non loin de Luo Yang, la capitale régionale du He Nan, avait été créé au premier siècle de notre ère par un certain Batuo, nommé le  » Premier Ancêtre « . Il avait ensuite été consacré en 496 par l’Empereur Xiaowen (Chao Wen) des Wei du Nord qui lui décerna le titre de  » Premier Monastère sous le Ciel « . Il s’agissait donc d’un monastère déjà très connu avant l’arrivée de notre Illuminé.
Celui-ci, en arrivant au monastère, commença une longue méditation, immobile, devant un mur. Cependant, au bout de trois ans de veille, le Prince Bodhidharma se laissa aller au sommeil et rêva des femmes qu’il avait jadis aimées.
À son réveil, furieux de sa faiblesse, il s’arracha les paupières et les enterra. Quelques temps plus tard, il observa que les paupières avaient poussé, donnant naissance à un buisson qu’il n’avait jamais vu auparavant ; il en grignota les feuilles, et s’aperçut qu’elles avaient la propriété de tenir les yeux ouverts. Ses disciples chinois en récoltèrent les graines ; ainsi commença la culture du thé. Cette découverte lui permit de prolonger sa méditation six longues années. Ce faisant il se mit à comprendre le langage des fourmis et découvrit la vérité.

Le Dhyâna (la forme de méditation qu’il pratiquait) devint alors, suivant une nouvelle transcription chinoise, le Tian-Na, littéralement  » saisir, appréhender le Ciel « , puis Chan-na (Tchan Na) plus proche de la définition originelle indienne qui, à l’origine du mot, signifiait  » retrouver le centre ; agir centré « . Bien plus tard, le Chan-na fut transcrit Zenna en japonais classique, de même que Bodhidharma devint Daruma. et Shaolin Shi devint Shorinji.

   Originellement le Dhyâna sanscrit, le Chan-na ou Chan ou Tchan chinois et le Zenna, Zenno ou Zen japonais représentaient bel et bien la même doctrine, le même enseignement. qui, au gré du temps, des écoles et des sectes (littéralement qui se séparent de la branche originelle) trouvera de multiples expressions souvent concurrentes sinon contradictoires.
Que se passa-t-il lorsque Bodhidharma (Potitamo, Tamo, Damo, Daruma… etc.) voulut transmettre son enseignement aux bonzes chinois ?
La tradition, toujours elle, affirme que ces bonzes, faméliques parce que mal nourris, ne pouvaient supporter l’immobilité que leur imposait la méditation. Bodhidharma se souvint alors de diverses formes gymniques, plus ou moins guerrières, qu’il avait étudiées pendant son jeune âge sous la direction de son père. Ce dernier était, en effet, en sus de sa fonction de roi, un haut initié de la caste des Ksattriyâs et connaissait donc l’art du combat, proche de ce qui est, actuellement, le Kalaripayatt.
Il mit donc au point une méthode connue sous le nom évocateur de  » Nettoyage des muscles et des tendons, purification de la moelle et des sinus « … le  » Yi Jing King Yi Sui Jing  » connue également sous les dénominations de Shi Ba Lo Han She (Shih Pa Lohan Sho), de I Chin Ching et de Ekkinkyo (Ekki Kin Kyo Jya) en Japonais.
Cette méthode mi-gymnique, mi-martiale fit couler beaucoup d’encre puisqu’elle fut considérée par certains comme étant à l’origine même des diverses pratiques martiales réputées du Monastère de la Petite Forêt… donc de la plupart des Arts Martiaux Chinois (Wushu ou Kuoshu) et, ce faisant des origines profondes des Arts Martiaux (Bujutsu et Budo) Japonais.
De par ce simple fait il fut donc admis par de nombreux historiens, principalement japonais, que Daruma, donc Bodhidharma, était le créateur, ou du moins l’initiateur, des Arts Martiaux Chinois et Japonais dont l’ancêtre commun était les Arts Martiaux Indiens…
Cette hypothèse est sympathique mais semble néanmoins légèrement teintée du désir quelque peu japonais de minimiser l’influence chinoise. Or, il s’avère que les pratiques guerrières, ou martiales (Wu ou Bu représentant à la fois le guerrier et le brave qui s’oppose à l’usage des armes, donc de la violence) étaient amplement développées en Chine avant la venue de Bodhidharma.
Sunzi (Sun Tseu) dans ses  » Treize chapitres sur l’Art de la Guerre « , ouvrage écrit au quatrième siècle avant notre ère, traite, par exemple, de l’Art du Poing (Quanfa ou Chuan Fa) et en conseille l’usage aux officiers… huit siècles avant la venue de l’Illuminé en Chine.
    Les historiens japonais de la période nationaliste, sur lesquels se fondent ces affirmations pourtant toujours reprises ici et là, attribuent la paternité des Arts Martiaux à Bodhidharma… donc au courant bouddhiste.
Cela permet, bien évidemment de passer sous silence les autres versions martiales issues d’une autre tradition.
Lorsqu’on sait que le Taijiquan (Tai Chi Chuan), le Bagua Zhang (Pa Kua Tchang), le Xingyi Quan (Hsing I Chuan) sont issus du courant Taoïste, cela permet de les ignorer et d’oublier leur ancêtre commun, le Daoyin, pourtant connu sous le nom de Do In au Japon, qui est également bien antérieur à la venue de Bodhidharma.
Pour ce qui est de Shaolin Shi… donc du fameux monastère de la petite forêt il y a également confusion savamment entretenue à dessein. En effet, si le Monastère Shaolin du Songchan dans le He Nan, au Centre de la Chine, est bien celui qui a reçu la visite de Bodhidharma, il a existé, en réalité cinq monastères de Shaolin presque considérés comme des succursales en franchise… le second, fondé en 756, était situé à Quangzhou, sur la cote est.
Le troisième, fondé en 1341, situé dans le sud prenait le nom de Honglong (Dragon rouge) tandis que le quatrième et le cinquième se situaient dans les environs de Putian (Fu Kien) et Chengdu.
Il s’avère que le monastère réputé pour les pratiques martiales telles que souvent décrites était non celui du Songchan mais celui de Quangzhou. C’est dans ce monastère que prit naissance le mythe des fameux labyrinthes et du tatouage avec un tigre et un dragon ainsi que la création des  » Cinq Styles de Shaolin  » issus de cinq moines ayant échappé à un massacre : Hung Gar, Li Gar, Choi Gar, Mo Gar, Liu Gar.
   C’est donc principalement dans le monastère de Shaolin du Sud que prit place la tradition martiale qui, par le biais d’Okinawa, fut transmise au Japon. Il y a encore quelques années le premier monastère, celui situé près de Luo Yang (Loyang) était totalement abandonné, fermé et envahi par les ronces, ayant subi une première destruction sous les Xing (Tsing) en 1744, un important incendie en 1928 et divers pillages pendant la révolution  » culturelle « .
A telle enseigne que les guides touristiques d’avant 1970 ne le signalaient même pas et dirigeaient les rares touristes vers le Monastère du Cheval Blanc (Bai Ma Si), alors considéré comme le haut lieu du Bouddhisme…
Depuis, sous l’influence du tourisme martial, le monastère a retrouvé sa splendeur de jadis, recréée de toutes pièces avec ses bonzes pratiquants et ses patriarches  » professionnels  » qui motivent la venue de centaines d’autocars et la vente de souvenirs  » authentiques « .
  D’ici quelques années on aura probablement retrouvé les fameux labyrinthes et les urnes remplies de charbons ardents nécessaires aux tatouages sur les avants bras…
Parions que les touristes crédules seront encore plus nombreux à tout confondre, à tout accepter et à tout acheter… puisque cela se vend.

Les arts martiaux d’Okinawa, ancêtres du karaté

  L’île d’Okinawa (une corde sur l’océan) est le joyau de l’archipel des Ryu-Kyu. Okinawa jouit d’un climat subtropical : la température moyenne, à Naha, capitale d’Okinawa, est de plus de 20°C pendant huit mois de l’année et au plus dur de l’hiver la température ne descend jamais en dessous de 10°C. Pendant la saison d’été, de juillet à septembre, les typhons y sont réguliers et particulièrement dévastateurs. Très souvent ils paralysent à la fois la circulation aérienne et maritime. Le paysage dégage une sensation de beauté et d’apaisement, avec le bleu limpide du ciel en été et les couleurs magnifiques de l’océan dans lequel se reflètent les récifs coralliens. La nature y est abondante et forme plusieurs parcs naturels. Cependant le sol est mince et la topographie souvent impropre à la culture.

  Géographiquement, Okinawa, située au cœur des Ryu-Kyu, chaîne arquée de plus 70 îles menant de la pointe sud du Japon à Taiwan (Formose), se trouve à une croisée de chemins : 500 Km au sud du Japon, 500 Km au nord de Taiwan et 740 km à l’est de la Chine continentale. La superficie de l’île n’est que de 1220 km2 pour une longueur de 120 Km et une largeur de 30 km. Malgré ces dimensions modestes, plus de 200 clubs de karaté y prospèrent. Cette densité exceptionnelle témoigne d’une histoire non moins exceptionnelle des arts martiaux dans cette île mythique. Historiquement, l’île vécut tiraillée entre ses deux voisins infiniment plus puissants, la Chine et le Japon. Ouverte par la force des choses à toutes ces influences, l’île devint un creuset original, où s’élabora avec le temps une synthèse particulièrement féconde dans le domaine des arts martiaux.
On pense que les premiers habitants d’ Okinawa étaient originaires de Chine, des îles japonaises septentrionales et du sud de l’Asie. Dès l’an 300 avant notre ère, les influences culturelles du Japon et de la Chine se faisaient déjà sentir dans l’île.
Il est probable que le Te soit vieux d’au moins mille ans. A cette époque, la population d’Okinawa avait peu de ressources, et les armes étaient rares. Or le pays était troublé, et la nécessité d’apprendre à se défendre donna sans doute l’élan nécessaire à l’apparition d’un art martial indigène.

  Le style propre à Okinawa est cependant tout à fait unique, et les influences étrangères ont toujours été adaptées pour les rendre conformes aux principes du combat tel qu’il est pratiqué à Okinawa.
Okinawa a été unifiée sous le règne du roi Sho Hashi de Chuzan en 1429. Vers 1470, avec l’effondrement de la dynastie Sho commença une période d’instabilité politique qui ne prit fin qu’avec l’établissement d’une nouvelle dynastie (aussi appelée Sho) en 1477. Pour imposer son autorité aux seigneurs de la guerre rebelles, solidement retranchés dans leurs châteaux, le nouveau roi, Sho Shin, commença par interdire le port du sabre aux nobles comme aux paysans. Puis il ordonna de recueillir toutes les armes pour les placer sous son contrôle, dans son château de Shuri. Enfin, il imposa à tous les nobles désarmés l’obligation de venir vivre près de lui, dans la capitale royale.
Il est intéressant de noter que cette politique de désarmement, puis  » d’assignation à résidence  » des seigneurs rebelles d’Okinawa fut imitée plus tard au Japon avec les édits du sabre de Toyotomi en 1586, puis en 1634, lorsque le shogun Tokugawa ordonna aux daimios, ou seigneurs de la guerre, de se rassembler dans sa capitale.

  L’âge d’or d’Okinawa prit fin en 1609 : le Japon nouvellement unifié, irrité par le refus d’Okinawa de reconnaître l’hégémonie du nouveau Shogun, envahit l’île et écrasa son armée. Le roi fut retenu à Edo (aujourd’hui Tokyo) pendant trois ans, et, lorsqu’il rentra dans son pays, il n’était plus qu’un pantin aux mains des Japonais.
Un fait capital pour l’histoire des arts martiaux dans l’île est que les Japonais maintinrent l’interdiction de porter les armes et continuèrent à exiger de la noblesse qu’elle reste sagement à Shuri, alors que les samouraïs japonais avaient le droit de porter leurs armes dans l’île. Cette interdiction imposée aux habitants d’Okinawa ne fut jamais levée.
De plus, au Japon, le pouvoir était détenu par les militaires (les shoguns) depuis le 12ème siècle. Cette culture militaire traditionnelle (sans arme à feu), qui dura sept siècles, avec ses guerriers (les bushis et les samouraïs) et les différentes formes de résistance à ce que le peuple ressentait comme une oppression vont marquer de leurs empreintes les arts martiaux japonais et, en particulier l’Okinawa-te. C’est en effet le seul pays au monde dont l’histoire est jalonné par une aussi longue période de pouvoir militaire impitoyable sans la moindre interruption.

   On pense que deux mouvements se dessinèrent à Okinawa lorsque le roi Sho Shin désarma les nobles et les rassembla dans sa ville de Shuri. D’une part, les nobles apprirent et développèrent l’art du combat à main nue, le Te. D’autre part, paysans et pêcheurs, privés de sabre, commencèrent à utiliser comme armes les instruments de leur métier : fléaux, poignées de meule, faux, brides de cheval et même rames se transformèrent ainsi en armes mortelles, les Ryu-Kyu bu-jutsu (arts de combat armé des Ryu-Kyu), ancêtres du kobudo. Ces orientations se maintinrent quand le Shogun imposa la domination japonaise sur l’île.
Les deux traditions s’entouraient du plus grand secret, et leur diffusion resta largement limitée à leurs classes sociales d’origine. Le Te était l’affaire des nobles de la cour, alors que les Ryu-Kyu bu-jutsu se développèrent dans le peuple. Encore aujourd’hui, plusieurs des plus grands maîtres de karaté descendent de familles royales et nobles de la ville de Shuri.
Au 17ème siècle, le Japon va progressivement se fermer : crainte d’invasions, lutte contre le christianisme, renforcement de la cohésion interne, les raisons sont multiples. Cet isolement presque total va durer jusqu’en 1853. Il explique en grande partie l’originalité de la culture japonaise et de ses arts martiaux.

Le karaté, fruit du syncrétisme entre les cultures d’Okinawa, de Chine et du Japon


  Le karaté  tel que nous le connaissons aujourd’hui est essentiellement le produit d’une synthèse qui eut lieu à la fin du XVIIIème siècle entre l’art du Te, originaire d’Okinawa, les arts chinois de la boxe du temple de Shaolin et d’autres styles du sud de la Chine, qui étaient pratiqués à l’époque dans la province du Fu-Kien. S’y ajoutent le ju-jitsu que les samouraïs pratiquaient en cas de perte du sabre (katana) et le Zen, sans doute la meilleure façon alors connue de maîtriser l’esprit.
Nous connaissons l’histoire personnelle de plusieurs maîtres de Te de l’époque. Certains d’entre eux se rendirent dans la province du Fu-Kien, en Chine, pour y étudier. Inversement, un grand maître chinois, Kushanku (Kanku en japonais), passa six ans à Okinawa ; le kata qu’il enseigna alors porte aujourd’hui son nom. Puis, au XIXème siècle, l’art d’Okinawa commença à être connu sous le nom de Tsang-té (kara té en japonais), c’est-à-dire  » la main chinoise « .
Même si l’art était pratiqué en secret, généralement en pleine nuit ou juste avant l’aube, trois styles distincts commencèrent à apparaître, l’un dans la capitale, les deux autres dans des agglomérations voisines. Le shurité, l’art qui se développa à Shuri, était pratiqué par les samourai de la cour, alors que dans le port voisin de Naha et dans la petite ville de Tomari, aux portes de Shuri, le peuple développa ses propres formes de Té.

Les particularités propres à ces styles résultent vraisemblablement du fait qu’ils ont été influencés par des traditions chinoises différentes. Certains indices portent à croire que le shuri-te serait issu de la boxe du temple de Shaolin, alors que le naha té (l’art pratiqué à Naha) a plutôt adapté les techniques souples taoïstes qui font intervenir la respiration et le contrôle du ki, la force vitale appelée chi en chinois. Quant au tomari té (l’art pratiqué à Tomari), il s’est manifestement inspiré des deux traditions.

  En 1853, un important fait transforma l’image de la pratique des arts martiaux traditionnels : l’apparition des armes à feu que le Japon découvrit avec l’expédition américaine Perry. Le déclin de certaines valeurs sociales qui avait été amorcé au XVIIème siècle fut accéléré par cette découverte qui fut suivie de près par l’unification du Japon à la période de Restauration Meiji, en 1868, alors que le système féodal fut aboli pour faire place à une société nouvelle avec l’ère Tokugawa (1868-1912). Ces événements marquèrent la disparition du pouvoir militaire shogunal et la fin de l’isolationnisme du Japon.
Gichin Funakoshi naquit cette même année à Shuri comme unique enfant d’une famille modeste et, en 1879, Okinawa était incorporée comme préfecture japonaise à l’empire de Mutso Hito.

   L’enseignement et la pratique du karaté restèrent secrets jusqu’en 1900 où l’Okinawa-te ou Tode devint le style le plus systématisé. Le voile fut levé en 1902 quand un commissaire de l’Éducation de la Préfecture de Kagoshima, Shintaro Ogawa, recommanda d’inclure le karaté dans le programme scolaire d’éducation physique de certaines écoles de Shuri. L’Okinawa-te, qui ne s’appelait toujours pas Karaté, fut alors enseigné ouvertement, essentiellement comme méthode d’éducation physique.
De cette époque, nous sont parvenus les noms de deux maîtres qui allaient devenir les chefs de file des principales écoles actuelles : Ankoh Itosu enseignait une méthode basée sur les techniques longues, les déplacements rapides et légers (Shorin), tandis que Kanryo Higaonna donnait la préférence à un style basé sur des techniques de force, en contraction, et sur des déplacements courts surtout efficaces pour le combat à faible distance (Shorei). Ces deux maîtres instruisirent des hommes qui, un peu plus tard, révélèrent leur technique martiale au Japon.
C’est Gichin Funakoshi, considéré comme le père du karaté moderne, qui en 1906 avec ses collègues fit la première démonstration publique à Okinawa. De plus, en 1922, il fit connaître au Japon l’existence du karaté lors d’une fête sportive (First National Athletic Exhibition) qui eut lieu à Tokyo sous les auspices du Ministère de l’Éducation. Les Japonais ne connaissaient, à cette époque, que le Jiu-Jitsu, une méthode dont le Judo tire sa source, et certaines formes de self-défense venues au Japon au XIIème  siècle avec le bouddhisme Zen (Shorinji Kempo). Ils se mirent à l’étude de cette méthode de combat encore inconnue et si efficace, sous la direction de Maître Funakoshi.

Maître Gichin Funakoshi, fondateur du karaté-do moderne et du style shotokan

   C’est alors seulement que Maître Funakoshi coupa le lien avec l’origine chinoise et okinawaienne de son art et l’appela KARATE (main vide en japonais). Mais tandis que certains instructeurs continuaient à enseigner à Okinawa une forme plus traditionnelle et plus proche de l’Okinawa-te, d’autres voyant le succès de Funakoshi passèrent au Japon et y apportèrent leur technique ; quoique celle-ci fut à chaque fois légèrement différente, ils l’appelèrent tous karaté en raison de la publicité dont cette désignation bénéficiait déjà.
À la fin du XIXème siècle, le Japon avait été impliqué dans une série de guerres avec des pays asiatiques. L’utilisation des arts martiaux traditionnels devenait périmée en raison de leur peu d’utilité militaire dans une société industrialisée, ce qui entraîna un déclin rapide des valeurs militaires ancestrales. Toutefois, les valeurs transmises par la pratique des arts martiaux sur le plan de l’esprit et de la force physique étaient positivement encouragées.

   Au début du XXème siècle, la tradition nationale reconnaissait l’apprentissage et l’usage du sabre comme l’art martial le plus important au Japon. Certains principes reliés au Kendo ont eu une influence considérable sur la pratique des arts martiaux tels que le karaté do, le kyudo, le judo et l’aïkido. Comme la pratique du « jutsu » se voulait traditionnelle et le « do » était moderne, plusieurs éléments du code du Bushido, « la voie du guerrier », ont été transformés dans la pratique par l’introduction de nouveaux types d’assauts où le but recherché était de réduire au minimum les blessures par des équipements protecteurs et des règles, contrairement au duel d’antan où le vainqueur émergeait par la mort du vaincu.

    De la même façon que le ken-jutsu devint le kendo, le karaté-jutsu a changé l’usage des techniques dont le but n’est plus de mutiler ou de tuer son adversaire, mais de développer une discipline physique et mentale connue dorénavant sous le nom de karaté do. Notons au passage que le changement d’objectif n’impose pas de modification de la technique et que la finalité de maîtrise des adversaires peut fort bien cohabiter avec une recherche spirituelle. Aujourd’hui, des dojo existent, malheureusement plus très nombreux, où l’entraînement ressemble fort à ce qu’il a pu être un ou deux siècles plus tôt.

   Le contrôle, c’est à dire l’arrêt des atemi à quelques millimètres de leur cible, est sans doute ce qui a permis au karaté son extraordinaire efficacité. Il devenait possible de s’entraîner régulièrement sans se blesser tout en visant des points vitaux. Le contrôle existait certainement depuis longtemps mais il a dû être systématisé au moment du passage du jutsu au do. Malheureusement, aucun document n’indique la date de son apparition lors des entraînements. On peut toutefois penser que l’entraînement au sabre (ken jutsu) fut le modèle que le karaté imita.

   Pendant les années 20 et le début des années 30, le karaté est devenu très populaire auprès des personnes provenant de toutes les couches sociales et particulièrement auprès des jeunes étudiants. Dans les années 40, chaque université japonaise avait son club de karaté.

  Après la deuxième guerre mondiale, une restriction sur la pratique des arts martiaux dura deux ans et, en 1948, la Japan Karaté Association fut créée. Funakoshi en devint le président et le chef instructeur. En 1957, le ministère de l’Éducation la reconnut comme une organisation d’enseignement.
Quelques années après la guerre, de fréquentes requêtes des Forces Armées Alliées en poste au Japon affluèrent demandant à assister à des démonstrations d’arts martiaux. Des groupes d’experts en judo, kendo et karaté do furent formés, afin de visiter deux à trois fois par semaine, les bases militaires et démontrer leur art respectif. En 1952, le Strategic Air Command des États-Unis a envoyé au Japon des groupes de jeunes officiers pour étudier le judo, l’aïkido et le karaté do dans le but de former des instructeurs en éducation physique.

  Quelques années plus tard, des amateurs de sports de combat orientaux firent connaître le mot karaté et, petit à petit, par des livres, des films et, au contact des premiers maîtres japonais invités à cet effet, en apprirent les techniques. Peu à peu, le karaté sortait de l’ombre et lorsque le Maître Funakoshi, âgé de 88 ans, décéda en 1957, l’art qu’il apporta au Japon avait connu un développement tel qu’il ne pouvait plus tomber dans l’oubli.
Après la mort du maître, qui refusait toute forme de compétition, en octobre 1957, fut organisé au Japon le First All Japan Karaté do Championship Tournament et, en novembre, la All Japan Student Karate Federation subventionna les premiers championnats universitaires qui se déroulèrent devant des milliers de spectateurs qui consacrèrent en quelque sorte la nouvelle orientation du karaté.
  
    En 1964, sous la pression du Ministre japonais de l’Éducation nationale fut créée la All Japan Karaté do Association (FAJKO) dont le but était de regrouper tous les organismes déjà en place.


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